11 mai 2020 - Actualités
Impact de la crise sanitaire du COVID-19 sur les services d’eau et d’assainissement : premiers enseignements à chaud
La crise sanitaire sans précédent que nous traversons a contraint les collectivités et leurs services d’eau et d’assainissement à faire preuve d’une grande agilité mais aussi de beaucoup de dévouement pour assurer la continuité du service public. A l'occasion du passage à la première phase du déconfinement, nous vous proposons de revenir sur les grandes étapes des premières semaines de la pandémie.
Ce que l’on sait du virus SARS-CoV-2 dans l’eau
Si la recherche se poursuit pour améliorer notre connaissance du virus, les éléments suivants semblent acquis, au regard des avis de l’OMS, de l’ANSES et du HCSP :
- Ce virus enveloppé n’est pas particulièrement plus résistant que d’autres entérovirus classiques et le milieu aquatique ne lui est pas spécialement favorable ;
- Les équipements de désinfection classiquement utilisés par les services d’eau potable (chloration, UV, ozonation) sont efficaces ;
- On retrouve du matériel génomique de virus dans les selles des malades (tests PCR) mais on ne sait pas aujourd’hui mesurer facilement leur caractère infectieux.
A ce jour, il est envisagé d'utiliser le suivi des eaux usées via des tests PCR pour détecter une éventuelle augmentation de la quantité d’ARN de SARS-CoV-2 dans les eaux usées et en faire ainsi un indicateur de la reprise de l’épidémie sur un territoire.
AMORCE soutient la poursuite et le renforcement des recherches pour étayer les prises de décisions gouvernementales.
Assurer la continuité du service et rassurer sur la qualité de « l’eau du robinet »
Les premiers jours de la crise ont conduit les collectivités et leurs prestataires disposant déjà d’un Plan de Continuité d’Activité (PCA) à l’adapter à l’ampleur extraordinaire de la crise et aux autres à le construire en urgence.
Les services se sont adaptés en réduisant nettement voire en supprimant les maintenances non indispensables, en assurant un télé-accueil des abonnés, en permettant une prise de service depuis leur domicile aux équipes d’astreinte, en prévoyant un véhicule par agent de terrain ou encore en facturant à partir d’estimations.
Très vite, la question des EPI et notamment des masques s’est posée dans le monde de l’eau où les masques FFP2 sont indispensables à un certain nombre d’interventions, notamment dans le secteur de l'assainissement. Au début de la crise, les besoins hebdomadaires en masques FFP2 ont été estimés à environ 90 000 par semaine pour les exploitants privés et publics qui ont pu accéder à quelques masques issus du stock stratégique du gouvernement. Une vigilance toute particulière est à avoir dans les prochaines semaines, avec le déconfinement et la doctrine sur les masques grand public, pour assurer la continuité de l’approvisionnement en masques adaptés pour ces services essentiels. Par ailleurs, AMORCE a également proposé à ses adhérents d’avoir accès à une commande groupée de masques FFP3 (utiles notamment pour les interventions avec un risque légionellose et pour certaines manipulations en laboratoire), passée par PAPREC. Cette démarche a rencontré un vif succès et pourrait être reconduite prochainement.
La première priorité pour les services a été d'assurer la continuité de la production, du bon traitement et de l’approvisionnement en eau potable. L’évolution des consommations a nécessité quelques ajustements techniques pour éviter les trop longs temps de séjour dans les réseaux et s’assurer du pouvoir rémanent de la désinfection. Les services ont dû rapidement communiquer autour de la qualité de l’eau du robinet pour éviter une ruée vers les bouteilles d’eau minérale dans des grandes surfaces prises d’assaut.
Pour l’assainissement, la continuité de la collecte et du traitement des eaux usées est également un enjeu de salubrité publique. La communication de crise s’est plutôt concentrée sur la problématique des lingettes jetées dans les toilettes avec les risques qu’elles font courir aux équipements électro-mécaniques du réseau et donc aux agents de terrain obligés d'intervenir.
Les PCA ont également dû s’adapter à des consignes fluctuantes sur l’autosurveillance : les assouplissements permis par l’ordonnance du 25 mars 2020 ont rapidement été supprimés par l’arrêté du 21 avril, obligeant les équipes à réaliser à nouveaux des prélèvements sur les eaux usées non traitées qui avaient souvent été ajournés au début de la crise.
Crise des boues : une remise du compostage à sa juste place sur le podium des solutions durables de gestion des boues
L’impact le plus important de la crise sur les services publics d’assainissement concerne les nouvelles consignes en matière de gestion des boues urbaines.
Saisie le 20 mars 2020, l’ANSES a établi un avis basé uniquement sur de la bibliographie et une analogie avec d’autres virus. Faute d’autres éléments, l'hygiénisation des boues rendant le virus inactif de manière certaine, l'agence a émis une position sécuritaire reprise dans la circulaire du 2 avril 2020 qui a restreint le retour au sol à certaines boues seulement :
- Les boues produites avant la crise sanitaire, avec une date d’entrée en épidémie fixée par département.
- Les boues respectant un couple moyens/résultats :
- Obligation de moyens : avoir subi un des 4 traitements expressément cités comme hygiénisant dans l’avis de l’ANSES (compostage, chaulage, séchage thermique ou méthanisation thermophile) et pouvoir prouver le respect des caractéristiques de ce process par un suivi quotidien (de la température, du pH et/ ou des retournements selon le process). La FAQ a ouvert la porte à cette liste fermée de process en listant des couples temps / température ou pH également satisfaisants.
- Obligation de résultats : respecter les critères de l’article 16 de l’arrêté du 8 janvier 1998, à savoir :
- un abattement suffisant sur 3 paramètres (œufs d’helminthes, salmonelle et entérovirus) lors de la caractérisation initiale ;
- Cette analyse étant très lourde à réaliser régulièrement, assurer un suivi en routine des coliformes thermolérants considérés comme un marqueur satisfaisant ; en cette période de crise, la fréquence du suivi en routine a été doublée pour devenir hebdomadaire. Néanmoins ce point a fait l'objet d'une discussion lors du dernier GT sur la FAQ et pourrait devenir plus simple de mise en oeuvre prochainement.
Cette décision a fortement impacté les services les plus ruraux de notre territoire, l’épandage de boues liquides étant la solution privilégiée par les plus petites stations d’épuration, proches des lieux d’épandage. De nombreuses collectivités se sont ainsi retrouvées sans débouché du jour au lendemain, avec des situations très hétérogènes selon les territoires.
Cette crise a suscité une large mobilisation de solidarité :
- Au sein des ECPI, avec par exemple le transfert des boues des plus petites STEU vers la grosse STEU centrale pour être injectées dans la file eau (sur simple porter à connaissance de l’administration) ou directement traitées sur la file boues (sous réserve d’une autorisation préfectorale au titre de l’article R211-29 du Code de l’Environnement).
- Entre les secteurs de l’eau des déchets autour notamment du compostage, solution largement plébiscitée car souvent l'alternative la moins onéreuse et contraignante. Cette sur-sollicitation des plateformes de compostage a cependant coïncidé avec des difficultés dans l’approvisionnement en déchets verts (utilisés comme structurant) du fait de l’arrêt des déchetteries (à fin mars, 94% des déchetteries françaises étaient soit à l’arrêt soit en ouverture restreinte) et du ralentissement, au début du confinement, de l’activité d’élagage assurée par les services espaces verts ou les entreprises.
- A l’échelon départemental, avec une aide précieuse apportée par les ATD, SATESE et SATEGE aux plus petits services
- A l’échelon régional, avec un travail important de recensement des capacités d’incinération et d’enfouissement mobilisables.
La pénurie de laboratoire complique également la mise en œuvre des directives ministérielles, avec des délais faisant parfois rater les fenêtres d’épandage (35 jours pour une caractérisation initiale, 10 jours pour l’analyse hebdomadaire des coliformes thermotolérants) et de vraies difficultés sur la performance de la file eau et de stockage (soutirage). AMORCE s’est largement investie dans le groupe de travail piloté par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité (DEB) qui a produit une FAQ pour préciser les dispositions de la circulaire et de son arrêté d’application. Nous avons également organisé, les 10 et 30 avril, deux webinaires pour vous informer et vous permettre d'échanger sur les problématiques de terrain (retrouvez les supports sur notre site internet).
Cette crise des boues est loin d’être finie et les boues continueront probablement à être « suspectes » pendant encore quelques mois. Le MTES coordonne actuellement des travaux de recherche pour définir un protocole moins strict que l’hygiénisation qui permettrait de définir :
- des seuils de traitement plus faciles à atteindre mais assurant la même protection face au SARS-CoV-2 ;
- des modalités de suivi allégées, basées a priori sur des coliphages somatiques.
L’objectif affiché est de disposer de ce protocole pour les épandages de l’été.
Cette crise induit enfin des surcoûts importants et des problèmes de trésorerie, sur lesquels nous revenons dans notre article « Surcoûts liés au COVID-19 : quels soutiens financiers attendre de l’Etat et des agences de l'eau ? »