01 juin 2020 - Actualités
Impacts de la crise sanitaire du COVID-19 sur les services d’eau et d’assainissement : premiers enseignements à chaud
La crise sanitaire sans précédent que nous traversons a obligé les collectivités et leurs services d’eau et d’assainissement à faire preuve d’une grande agilité mais aussi de beaucoup de dévouement pour assurer la continuité du service, comme l’illustre l’exemple de Vichy Communauté (cf actu adhérents). Alors que s’amorce le déconfinement, revenons sur les grandes étapes des premières semaines de crise sanitaire.
Actualité extraite de la Lettre aux Adhérents #66 de juin 2020
Ce que l’on sait du virus SARS-CoV-2 dans l’eau
La recherche se poursuit pour mieux connaître ce virus mais à l’heure d’aujourd’hui, les éléments suivants semblent acquis au regard des avis de l’OMS, de l’ANSES et du HCSP :
- Ce virus enveloppé n’est pas particulièrement plus résistant que d’autres entérovirus classiques et le milieu aquatique ne lui est pas spécialement favorable ;
- Les équipements de désinfection classiquement utilisés par les services d’eau potable (Chloration, UV, ozonation) sont efficaces ;
- On retrouve du matériel génomique de virus dans les selles des malades (tests PCR) mais on ne sait aujourd’hui pas mesurer facilement leur caractère infectieux (nécessite une mise en culture dans un laboratoire hautement sécurisé).
A noter qu’à ce jour, il est envisagé d’utiliser le suivi des eaux usées par des tests PCR pour détecter une éventuelle augmentation de la quantité d’ARN de SARS-CoV-2 dans les eaux usées et en faire ainsi un indicateur de la reprise de l’épidémie sur un territoire. AMORCE soutient la poursuite et le renforcement des recherches pour étayer les prises de décisions gouvernementales.
Assurer la continuité du service et rassurer sur la qualité de « l’eau du robinet »
Mi-mars, les premiers jours de la crise ont conduit les collectivités et leurs prestataires disposant d’un Plan de Continuité d’Activité à l’adapter à l’ampleur extraordinaire de la crise et aux autres à le construire en urgence.
Les services se sont adaptés en réduisant nettement voire en supprimant les maintenances non indispensables, en assurant un télé-accueil des abonnés, en permettant une prise de service depuis leur domicile aux équipes d’astreinte, en prévoyant un véhicule par agent de terrain ou encore en facturant à partir d’estimation...
Très vite la question des EPI, et notamment des masques s’est posée dans le monde de l’eau, où les masques FFP2 sont indispensables à un certain nombre d’interventions, notamment en assainissement. Au début de la crise, les besoins hebdomadaires en masques FFP2 ont été estimés à environ 90 000 par semaine pour les exploitants privés et publics et le monde de l’eau a pu avoir accès à quelques masques issus du stock stratégique du gouvernement. Une vigilance toute particulière est à avoir dans les prochaines semaines, avec le déconfinement et la doctrine sur les masques grand public, pour assurer la continuité de l’approvisionnement en masques adaptés pour ces services essentiels.
A noter: AMORCE a permis à ses adhérents d’accéder à une commande groupée de masques FFP3, utilisés notamment pour les interventions avec un risque légionellose ou dans les mesures en laboratoire.
La première des priorités pour les services a été de s’assurer de la continuité de la production, du bon traitement et de l’approvisionnement en eau potable. L’évolution des consommations a nécessité quelques ajustements techniques pour éviter les trop longs temps de séjour dans les réseaux et pour s’assurer du pouvoir rémanent de la désinfection. Les services ont dû rapidement communiquer autour de la qualité de l’eau du robinet pour éviter une ruée vers les bouteilles d’eau minérale dans les supermarchés pris d’assaut.
Pour l’assainissement, la continuité de la collecte et du traitement des eaux usées a également été un enjeu prioritaire de salubrité publique. La communication de crise s’est plutôt concentrée sur la problématique des lingettes jetées dans les toilettes et des risques qu’elles faisaient courir aux équipements électro-mécaniques du réseau et donc aux agents de terrain en les obligeant à intervenir sur le terrain.
Les PCA ont également du s’adapter à des consignes fluctuantes en terme d’autosurveillance : les assouplissement prévus par l’ordonnance du 25 mars 2020 ont rapidement été supprimé par l’arrêté du 21 avril obligeant les équipes à réaliser à nouveaux des prélèvements sur les eaux usées non traitées qui avaient souvent été ajournés au début de la crise.
Crise des boues : une remise du compostage à sa juste place sur le podium des solutions durables de gestion des boues
L’impact le plus important de la crise sur les services publics d’assainissement concerne probablement les nouvelles consignes en matière de gestion des boues urbaines.
Saisie le 20 mars 2020, l’ANSES a établi un avis basé uniquement sur de la bibliographie et une analogie avec d’autres virus. Faute d’autres éléments, l’ANSES a émis une position sécuritaire à savoir qu’il était certain que l’hygiénisation des boues rendait le virus inactif.
Cet avis, repris dans la circulaire du 2 avril 2020, imposait ainsi que seules certaines boues pouvaient retourner au sol :
- Les boues produites avant la crise sanitaire, avec une date d’entrée en épidémie par département
- Les boues respectant un couple moyens/résultats :
- Obligation de moyens : avoir subi une des 4 traitements expressément cités comme hygiénisant dans l’avis de l’ANSES (compostage, chaulage, séchage thermique ou méthanisation thermophile), et pouvoir prouver le respect des caractéristiques de ce process par un suivi quotidien (de la température, du pH et/ ou des retournements selon le process). La FAQ a ouvert la porte à cette liste fermée de process en listant des couples temps / température ou pH également satisfaisant
- Obligation de résultats : respecter les critères de l’article 16 de l’arrêté du 8 janvier 1998, à savoir :
- un abattement suffisant sur 3 paramètres (œufs d’helminthes, salmonelle et entérovirus) lors de la caractérisation initiale
- et, comme cette analyse est très lourde à réaliser régulièrement, assurer un suivi en routine des coliformes thermolérants considérés comme un marqueur satisfaisant ; en cette période de crise la fréquence du suivi en routine a été doublé en devenant hebdomadaire.
Cette prise de décision a impacté fortement les services les plus ruraux de notre territoire, puisque l’épandage de boues liquides étaient une solution privilégiée par les plus petites stations d’épuration, proche des lieux d’épandage. Sur les 10 millions de tonnes de matières brutes produites en France on peut considérer qu’environ 1 à 1,5 million de tonnes se sont ainsi retrouvés sans débouché du jour au lendemain, avec des situations très hétérogènes selon les territoires.
Cette crise a ainsi largement mobilisé les solidarités :
- A l’intérieur des ECPI, avec par exemple le transfert des boues des plus petites STEU vers la grosse STEU centrale pour y être injectées dans la file eau (sur simple porter à connaissance de l’administration) ou directement traitées sur la file boues (sous réserve d’une autorisation préfectoral au titre de l’article R 211-29 du Code de l’Environnement)
- Entre le monde de l’eau et des déchets, notamment autour du compostage solution largement plébiscitée car souvent la moins onéreuse et contraignante des alternatives ; Or cette sur-sollicitation des plateformes de compostage a coïncidé avec des difficultés dans l’approvisionnement en déchets verts (utilisé comme structurant pour le compostage) du fait de l’arrêt des déchetteries (à fin mars 94% des déchetteries françaises étaient soit à l’arrêt soit en ouverture restreinte) et du ralentissement de l’activité d’élagage par les services espaces verts ou entreprises au début du confinement
- Mais aussi à l’échelon départemental, avec une aide précieuse apportée par les ATD, SATESE et SATEGE aux plus petits services et à l’échelon régional, avec un recensement des capacités d’incinération et d’enfouissement mobilisables.
La pénurie de laboratoires a largement compliqué la mise en œuvre des directives ministérielles, avec des délais faisant parfois rater les fenêtres d’épandage (35 j pour une caractérisation initiale, 10 j pour l’analyse hebdomadaire des coliformes thermotolérants) et posant ayant de vraies difficultés de soutirage, pour assurer la performance de la file eau et de stockage. AMORCE s’est largement investie dans le groupe de travail piloté par la direction de l’eau et de la biodiversité qui a produit une FAQ de la circulaire et de son arrêté d’application et a organisé les 10 et 30 avril, 2 webinaires destinés à vous informer et identifier les problématiques de terrain pour les faire remonter.
Cette crise des boues est loin d’être finie, car nous allons continuer à produire pendant probablement plusieurs mois des boues « suspectes ».
Le MTES coordonne actuellement des travaux de recherche pour définir un protocole moins strict que l’hygiénisation qui permettrait de définir :
- des seuils de traitement plus facile à atteindre mais assurant la même protection face au SARS-CoV-2
- des modalités de suivi allégé (basé à priori sur des coliphages somatiques).
L’objectif affiché est de disposer de ce protocole pour les épandages de l’été.
Ces travaux ne doivent pas occulter la nécessité de continuer les recherches pour mieux connaître la durée de vie et la virulence du virus dans la file eau, afin que les collectivités dont certains rejets de STEU voire de DO peuvent concerner des zones de baignades et/ou sensibles (conchyliculture..) dispose rapidement d’une maximum d’informations.
Et demain ?
Alors que le déconfinement se profile, la gestion de l’impact financier des mesures anti-covid-19 occupe une large part du débat.
En l’état actuel des connaissances, des boues qui ne disposaient pas d’un traitement hygiénisant voient le coût de leur gestion augmenter de 300% (solution de compostage de proximité) à 1000% (incinération ou enfouissement).
Les chantiers engagés ou à venir voient également leur cout surenchéri d’environ 5 à 15% du fait de l’impact des mesures barrières sur les équipes et leur interaction.
Dans le même temps, les recettes des SPEA ont tendance à baisser, alors qu’il s’agit de services à coûts majoritairement fixes (à environ 80%) :
- Les arrêts de contrats de mensualisation et les demandes de reports de charges sont déjà significatifs ; on peut de plus supposer que certaines créances ne seront pas recouvertes et que les impayés vont augmenter dans les prochaines semaines du fait de difficultés économiques.
- Le ralentissement économique a eu des effets sur la consommation d’eau (baisse de 5 à 15%) qui commencent à se faire sentir sur la facturation pour les SPEA qui disposent de télérelève ou vont se faire sentir pour les services qui avaient opté pour une estimation pour limiter les interactions avec les usagers.
Les Agences de l’Eau sont, à l’heure où nous écrivons, en train de proposer des plans pour répondre en partie à ces urgences avec environ 50 millions d’euros (pour les 6 bassins) destinés à prendre en charge une partie des surcoûts :
- liés à la gestion des boues non hygiénisées
- sur les chantiers
Pour aider les trésoreries, les agences proposent également de faciliter le versement des acomptes et le cas échéant donner un peu plus de souplesse pour le remboursement des avances.
Associée aux réflexions avec le MTES, la DGCL, les associations de collectivités et les Agences de l’eau, AMORCE défend notamment un abandon de la TGAP pour les boues qui devraient du fait de la crise sanitaire être orientées vers une solution de traitement qui y est soumise et l’activation simplifiée de l’article L2224-2 du CGCT pour abonder de façon ponctuelle les budgets annexes des SPIC avec le budget général.
Les conseils d’administration des Agences doivent également plancher d’ici mi-juin sur des mesures pour aider au redémarrage de l’économie dans les domaines du cycle de l’eau ; encore beaucoup d’inconnu à ce stade sur les modalités de ces aides (origine des sommes en jeu, plafond mordant...) ou le rôle de la Banque des Territoires, qui avait été largement mobilisée lors des réflexions « Assises de l’eau ».
AMORCE contribue à cette réflexion sur le plan de relance de l’économie avec notamment des propositions visant à engager les services publics d’eau et d’assainissement vers des transformations qui lui permettront d’être plus résilients lors de prochaines crises sanitaires ou climatiques. Nos propositions d’investissements et d’actions de promotion contribueraient notamment :
- à réduire les tensions sur les ressources en eau (accélération de la rénovation du patrimoine, économies d’eau, sécurisation, mobilisation de ressources alternatives...),
- à lutter contre les pollutions du cycle de l’eau, (gestion du patrimoine assainissement, gestion du temps de pluie, désimperméabilisation/ déconnexion, traitement renforcé des pollutions...)
- à accélérer la transition énergétique des SPEA (maîtrise de l’énergie et production d’énergie renouvelable)
- à sécuriser la gestion des boues d’épuration, en permettant l’émergence de filières pérennes et durables qui assurent leur valorisation agronomique ou énergétique en toute sécurité.
Retrouvez l’ensemble de nos contributions au plan de relance en p22 de la LAA 66.
Contact : Muriel FLORIAT