17 janvier 2024 - Actualités
Mission d’évaluation de la loi AGEC : AMORCE dresse le bilan inquiétant de sa mise en œuvre
L’Assemblée nationale, par l’intermédiaire de la Commission du développement durable et de l’aménagement durable, a confié aux députés Stéphane Delautrette et Véronique Riotton une mission d’évaluation de la mise en œuvre de la loi AGEC, 4 ans après sa promulgation. AMORCE, auditionnée dès le démarrage des travaux et à plusieurs reprises, a dressé aux députés le bilan plus que mitigé de la mise en œuvre de la loi. Elle a porté également les nombreuses propositions des collectivités pour une réelle accélération de l’économie circulaire.
La prévention des déchets à la traine
AMORCE a d’abord rappelé les nombreux et ambitieux objectifs fixés par la loi AGEC en matière de prévention des déchets et parmi eux :
- L’objectif de réduction des déchets ménagers et assimilés de -15% entre 2010 et 2030 ;
- L’objectif de réduction des déchets d'activité économique de -5% entre 2010 et 2030 ;
- Un taux de 5% des déchets ménagers en 2030 réemployés et/ou réutilisés ;
- L’objectif de réduction de -50% des mises en marché de bouteilles en plastique d'ici 2030.
Or, au regard des derniers chiffres publiés par l’ADEME, la production des déchets ménagers et assimilés est en augmentation. En 2021, les DMA collectés par le service public représentaient 611 kg/hab (+ 5% par rapport à 2019). La production d’emballages a progressé de 18% entre 2010 et 2023 pour atteindre 5,5 millions de tonnes d’emballages mis sur le marché. Les emballages plastiques représentaient en 2022 près de 1,2 Mt (soit près de 21% des mises en marché) et leur part est en augmentation constante depuis 2010 (+18%). Enfin, la France est loin d’être sur la trajectoire de la réduction des mises en marché de bouteilles plastiques.
AMORCE a fait état de plusieurs constats expliquant ces retards :
- À l’heure actuelle, la plupart des dispositifs de REP ne se sont pas vues fixer d’objectif de réduction de gisement, une partie s’est vue fixer des objectifs de réemploi et de réparation qui ne suffiront pas à contribuer substantiellement à l’objectif de réduction de 15% des DMA.
- Seules 36% des collectivités compétentes en matière de gestion des déchets se sont engagées dans un PLPDMA démarré après 2015. Pour AMORCE cela s’explique en partie par le manque de moyen dont disposent ces dernières pour les mettre efficacement en œuvre.
De même, alors que la loi AGEC devait conduire à une réduction des coûts de gestion des déchets pour les collectivités et le contribuable, AMORCE constate une hausse de ceux-ci. Par des enquêtes réalisées annuellement et depuis deux ans, AMORCE mesure une augmentation des coûts de la gestion des déchets pour les collectivités : +15% soit +1,5 milliards d’euros au moins. La TGAP, telle qu’appliquée se présente comme un facteur de hausse du coût de la gestion des déchets.
AMORCE a formulé de nombreuses propositions en faveur de la prévention des déchets et notamment :
- La défense au niveau européen, dans le cadre des négociations portant sur le futur Règlement emballages, des ambitions de la Loi AGEC portant sur la prévention des déchets d’emballages ;
- L'élaboration d’un plan national sobriété Déchets décliné par secteurs et par acteurs contributifs, à l’image de ce qui a été réalisé pour l’énergie et l’eau, ainsi qu’une évaluation complète et chiffrée des PLPDMA et de leur impact ;
- La fixation d’objectifs de réduction du gisement dans tous les cahiers des charges de filières REP avec la possibilité pour chaque éco-organisme de mettre en place un vrai dispositif contraignant sur les metteurs sur le marché visant à entrainer la réduction de 15% du gisement de tous les déchets.
Au-delà, l’urgence, maintes fois rappelée, est d’engager une réforme complète de la TGAP. C’est en ce sens qu’AMORCE a saisi le nouveau Premier ministre de la question par un courrier adressé ce mardi 16 janvier et a rappelé devant la Mission d’évaluation ses propositions.
Les retards pris dans « la sortie du plastique à usage unique »
Comme rappelé ci-avant, les trajectoires observées sur les déchets plastiques ne sont pas en adéquation avec l’atteinte des objectifs que la Loi AGEC a fixés.
À diverses reprises pourtant, bien que ce constat soit partagé et bien que la hiérarchie de la gestion des déchets soit consacrée par la loi, nous constatons dans les politiques proposées une priorisation donnée au recyclage plutôt qu’à la réduction et au réemploi. Dernièrement, les débats sur la consigne pour recyclage des bouteilles plastiques ou encore sur le futur règlement européen « Emballages » en sont des exemples flagrants, ce qu’a rappelé AMORCE.
Aussi, l’association a réitéré les 14 mesures du plan alternatif à la fausse consigne sur les bouteilles plastiques proposé par l’ensemble des associations de collectivités territoriales pour atteindre certes l’objectif spécifique de 90% de collecte pour recyclage des bouteilles plastiques (350 000 tonnes), mais surtout :
- Être beaucoup plus ambitieux en matière de réduction et de recyclage de tous les emballages ménagers (5 millions de tonnes) ;
- Réduire massivement la pollution plastique et tous les déchets plastiques (5 millions de tonnes) ;
- Atteindre les principaux objectifs de la France en matière d’économie circulaire sur les déchets ménagers (38 Millions de tonnes).
Le manque de moyens pour le déploiement du tri à la source des biodéchets
AMORCE a partagé avec les députés les premiers chiffres constatés par l’ADEME sur le déploiement du tri à la source des biodéchets à date. Force est de constater que la généralisation attendue n’est pas au rendez-vous.
Ces retards s’expliquent principalement par le manque de soutien de l’État dans la mise en œuvre de ce nouveau service à mettre en regard avec l’augmentation constante des charges des collectivités pour la gestion des déchets. Le tri à la source des biodéchets pourrait coûter aux collectivités locales près de 5 milliards d’euros sur les dix prochaines années. De même, les incertitudes autour des débouchés et des critères d’évaluation engendrent des difficultés pour les collectivités.
AMORCE a ainsi rappelé ses demandes sur ces points :
- Un niveau d’accompagnement financier qui doit être rehaussé : AMORCE demande la pérennisation des aides publiques avec un soutien à hauteur de 50% des surcoûts supportés par les collectivités. Ce soutien représente une aide de 50 euros par habitant sur 10 ans pour aider les collectivités qui ne l’ont pas encore fait à s’engager dans la démarche, soit une enveloppe à garantir de 450 millions d’euros par an sur 5 ans.
- Une sécurisation des débouchés pour les biodéchets collectés : et notamment la réévaluation de la réglementation sur les matières fertilisantes et les supports de cultures afin qu’elle puisse permettre la valorisation matière ;
- Une facilitation de l’évaluation et la souplesse dans les critères d’appréciation.
Les promesses non tenues des filières de REP
La loi AGEC fixait également aux filières de REP des objectifs ambitieux de collecte des déchets et de valorisation organique et matière. Les chiffres observés et détaillés dans la figure ci-contre montrent les retards pris.
Concernant précisément la filière des emballages, cette dernière progresse en matière de recyclage avec un taux de recyclage de 72% en 2022 pour un objectif fixé à 75% de recyclage des emballages depuis le Grenelle de l’environnement (2010).
Les projections démontrent, toutefois, que l’atteinte des objectifs n’est pas envisageable sans une mobilisation importante de tous les acteurs. En effet, seuls 28% des plastiques mis en marché sont recyclés en 2022. Les bouteilles plastiques y contribuent pour beaucoup avec un taux de recyclage national de 68%. Par ailleurs, le flux développement (autres plastiques) bien qu’amené à se généraliser, n’est recyclable qu’à 75% avec des taux de perte importants notamment sur certaines résines et avec près de 20% de plastiques complexes non recyclables.
Par ailleurs, les retards pris, voire l’inapplication de certaines disposition, dans le déploiement des nouvelles filières mises en place par la loi AGEC contribuent fortement à la détérioration de ces résultats.
Particulièrement, AMORCE a rappelé aux parlementaires que le mécanisme de définition des soutiens, prévu par la directive cadre déchets 2018 n’est pas appliqué, faute de connaître les coûts réellement supportés par les collectivités sur les déchets sous REP et l’absence de prise en charge pour les déchets contribuants mais non collectés par les organisations de collecte pris en charge par les éco-organismes.
Sur la mise en œuvre de la REP PMCB (déchets du bâtiment) spécifiquement :
- Le déploiement a accusé un nouveau retard début 2023 ;
- Les collectivités sont encore aujourd’hui en attente d’une prise en charge par la filière et ses éco-organismes. Début décembre 2023, quatre collectivités avaient signé un contrat avec les éco-organismes.
Sur le déploiement de la REP sur les textiles sanitaires à usage unique (TS2U) qui devait être opérationnelle en janvier 2024, l’enjeu au niveau de la réduction des déchets et du détournement est important. Ces déchets représentent le 3ème flux de déchets le plus présent dans les OMR (14 % du flux OMR et 35 kg/an/hab, en forte progression depuis 20 ans), après les déchets fermentescibles et les emballages. Cette filière accusera également un retard d’au moins 6 mois : le décret de création de la filière et l’arrêté de cahier des charges des éco-organismes ne sont pas encore parus, alors que la directive SUP imposait une parution du décret fin décembre 2023.
Sur ces points, AMORCE a rappelé, avec force, ces propositions complémentaires à celles formulées dans le plan alternatif à la fausse consigne :
- Aller vers l’interdiction de la mise en marché de toute matière qui n’aurait pas une solution de recyclage viable ;
- La création d’un observatoire indépendant de la performance des REP en matière de prévention, de collecte sélective, de recyclage, de valorisation et d’enfouissement ;
- Dans le cadre des filières de REP :
- La prise en charge à 100% des coûts de gestion de la totalité du gisement de déchet généré par une filière (à savoir la stricte application de la directive européenne en la matière) ;
- Un régime de sanction réellement dissuasif et automatiquement mis en œuvre en cas de non-respect du cahier des charges ;
- Une responsabilisation des éco-organismes quant à l’atteinte des objectifs de prévention.
La nécessité de rationaliser la politique nationale en matière de traitement des déchets
Sur le stockage, la loi AGEC n’a pas permis de réduire significativement les déchets éliminés dans cette filière. La loi TECV prévoyait une réduction de 30% des déchets non dangereux non inertes en stockage en 2020 par rapport à 2010 et -50% en 2025. Ces objectifs n’ont pas été atteints en 2020.
De même, l'atteinte du second objectif de 2025 (-50% des déchets résiduels en enfouissement par rapport à 2010) exige de faire passer les quantités de déchets totaux (DMA+DAE) envoyés dans cette filière à 7,5 millions de tonnes d'ici 5 ans (2020-2025), soit un effort plus important que sur la période 2004 – 2020 (-4,5 millions de tonnes en 16 ans).
La loi AGEC fixe un objectif de déchets ménagers et assimilés (DMA) admis en ISDND à 10% des DMA produits en 2035, mesuré en masse. Associé à la trajectoire de réduction de 15% de DMA produits par habitant en 2030 par rapport à 2010 et aux projections de population estimées par l’INSEE (scénario central), le respect de ces objectifs implique de n’enfouir que 3,3 millions de tonnes à l’horizon 2035 (contre 7,9 millions de tonnes de DMA stockées en 2021). (Source : enquête collecte ADEME 2021).
Les objectifs nationaux de réduction des déchets stockés se traduisent par la réduction progressive des capacités autorisées des installations. Depuis 2000, le nombre d’ISDND a été divisé par 2 et les capacités annuelles de stockage sont passées de 26,3 millions de tonnes à 20,3 millions de tonnes. Les sites de stockage encore ouverts atteignent leurs limites (ITOM 2020). 85% de la capacité des sites est utilisée. Selon une enquête menée par AMORCE (DT141 Observatoire de stockage), des sites ont même atteint un seuil de saturation critique au-delà de 90% voire 95 % de saturation, ce qui soulève des interrogations quant à la mise en application des objectifs.
L’État, en réduisant les capacités réglementaires, mésestime la situation en créant une pénurie de solutions de traitement. Cette baisse est plus rapide que celle de la réduction des quantités de DND produites. Les installations de valorisation énergétique, saturées, ne seront pas en mesure de prendre en charge à moyen terme la quantité de déchets sans solution de traitement.
Concernant la valorisation énergétique, AMORCE constate qu’il n’y a pas à ce jour d’observatoire national pour suivre la réalisation de l’objectif suivant “assurer la valorisation énergétique d'au moins 70 % des déchets ne pouvant faire l'objet d'une valorisation matière d'ici 2025”.
En 2021, 50,4 % des DMA nécessitaient toujours un traitement spécifique. Près de 29,8 % étaient envoyés dans les installations thermique de déchets. Les 20,6 % restants étaient envoyés en stockage.
Aussi, AMORCE a porté auprès des députés ses propositions visant à rationaliser la politique nationale en la matière.
- Sur la valorisation organique :
- La réhabilitation des TMB comme une solution de valorisation matière ;
- La révision du décret MFSC.
- Sur la valorisation énergétique :
- La mise en place d’États généraux de la valorisation énergétique des déchets ;
- La non-limitation des capacités de valorisation énergétique dans les PRPGD ;
- La relance d’une politique ambitieuse de valorisation énergétique dans la future PPE à partir d’un transfert des flux du stockage vers cette fin
- Sur l’élimination des OMR : la fixation d’un objectif d’autonomie de capacités d’élimination (VE et Stockage) à l’échelle de la France pour éviter les exportations.
De nouveaux moyens en faveur de l’éradication des dépôts sauvages
De nombreuses dispositions de la loi AGEC qui ont permis de simplifier les procédures administratives et pénales pour la mise en œuvre de sanctions contre les dépôts sauvages, et notamment la facilitation de l’assermentation des agents des collectivités et de leurs groupements (en 2022, 79% des répondants n’avait pas assermentés d’agents (base : 109 répondants / enquête AMORCE). C’est un élément positif en cours de concrétisation.
Le recours à la vidéoprotection, utile en cas de hot spot, a été facilité mais cela reste un outil de vidéoverbalisation, donc sur le fait.
Toutefois, les mêmes difficultés subsistent à savoir :
- L’identification du contrevenant reste complexe ;
- Le manque de moyens humains et financiers pour mener à bien ces actions. Pour être efficace, la lutte contre les dépôts sauvage nécessite le déploiement de brigades vertes dans l’ensemble les collectivités, ce qui pourrait représenter, selon nos estimations, un coût total pour l’ensemble des collectivités s’élevant à près de 76,8 M€/an pour lutter efficacement contre les dépôts sauvages.
AMORCE propose, en conséquence, un véritable plan national de lutte contre les dépôts sauvages en 5 axes, qui pourraient être déclinés dans une proposition de loi :
- La définition d’objectifs ambitieux en matière de résorption et de réduction des dépôts sauvages ;
- Le développement d’outils qui permettront de répertorier l’ensemble des dépôts sauvages sur le territoire national ;
- Doter les territoires de moyens efficaces de contrôle et de sanctions de ces dépôts sauvages ;
- Mettre en œuvre une campagne forte de sensibilisation auprès des usagers qui n’ont, pour certains, pas conscience des conséquences de tels dépôts ;
- Doter les territoires de vrais outils financiers, et cela en faisant participer toute la chaîne d’acteurs (État, collectivités, filières REP).
La Mission d’évaluation devrait rendre prochainement ses conclusions auxquelles AMORCE sera particulièrement attentive. Nous demandons que nos nombreuses propositions soient reprises et que des mesures fortes seront par la suite mises en œuvre par l’État. Il s'agit d'une condition sine qua non pour remettre la France sur les rails de ses objectifs en matière d’économie circulaire.
AMORCE consacrera également ses 17èmes Rencontres AMORCE-Éco-organismes le 25 janvier prochain au bilan environnemental des filières de REP notamment au regard des objectifs qui leur sont assignés par la loi AGEC.
Contact : Joël RUFFY