31 décembre 2020 - Actualités
Projet de décret socle commun pour les MFSC : une forte menace plane sur la filière organique !
Dans le prolongement des travaux issus de la FREC concernant le "pacte de confiance" sur l'organique en 2018 et des nouvelles dispositions réglementaires (loi AGEC et ordonnance en 2020), le projet de décret dit de « socle commun » relatif aux critères de qualité agronomique et d'innocuité pour les matières fertilisantes et les supports de culture (MFSC) a été diffusé pour avis aux parties prenantes par les ministères de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) et de la transition écologique (MTE). En l’état, ce projet de texte, incomplet dans l'attente des résultats de l'ANSES, constitue une menace pour la filière de valorisation agronomique des MFSC et notamment des amendements organiques produits à partir de biodéchets ou de FFOM.
Actualité extraite de la Lettre aux Adhérents #69 de novembre / décembre page 30.
Dans le prolongement des travaux issus de la FREC concernant le "pacte de confiance" sur l'organique en 2018 et des nouvelles dispositions réglementaires (loi AGEC et ordonnance en 2020), le projet de décret dit de « socle commun » relatif aux critères de qualité agronomique et d'innocuité pour les matières fertilisantes et les supports de culture (MFSC) a été diffusé pour avis aux parties prenantes par les ministères de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) et de la transition écologique (MTE). En l’état, ce projet de texte, incomplet dans l'attente des résultats de l'ANSES, constitue une menace pour la filière de valorisation agronomique des MFSC et notamment des amendements organiques produits à partir de biodéchets ou de FFOM.
Cet article se concentre sur les éléments propres aux impacts sur la filière de valorisation des déchets organiques ménagers, mais nous vous invitons à lire également son pendant côté Eau & Assainissement (Cf Projet de Socle commun d’innocuité des MFSC : les inquiétudes de la filière de valorisation agronomique des boues d’épuration).
Comprendre le contexte du décret
Un projet de décret relatif à l’élaboration d’un socle commun pour les matières fertilisantes et supports de culture (MFSC) élaboré par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA) a récemment été porté à la connaissance des parties prenantes représentant les acteurs de la filière de valorisation organique, dont AMORCE. Ce projet de texte s’inscrit dans la continuité d’une série :
- de discussions techniques menées en 2018 autour du volet agricole de la Feuille de Route pour une Economie Circulaire (FREC) ; puis des travaux du GT Pacte de confiance eux-mêmes ayant abouti au rapport Alain Marois, présenté fin 2019 ;
- de dispositifs réglementaires, dont la loi EGALim d’octobre 2018 (définissant une sortie du statut de déchet sauf pour les boues) ; la loi Anti Gaspillage et Economie Circulaire (AGEC) du 10 Février 2020 (interdisant notamment la production de compost à partir de fraction fermentescible issue des ordures ménagères par tri-mécano-biologique à partir de 2027) et à l’ordonnance du 29 Juin 2020 dont l’article 14 précise : « Un décret, pris après consultation de l'ANSES, fixe les critères de qualité agronomique et d'innocuité selon les conditions d'usage pour les matières fertilisantes et les supports de culture, afin de s'assurer que leur mise sur le marché et leur utilisation ne portent pas atteinte à la santé publique, à la santé animale et à l'environnement ».
L'objectif commun poursuivi par l'ensemble des acteurs est d'assurer une montée en gamme de la valeur agronomique des MFSC (dont les amendements organiques tels que les composts entre autres à base de biodéchets, de fractions fermentescibles extraites des OMr, ou de boues) et de garantir l’innocuité de ces matières, tout en recherchant une amélioration de la confiance et des relations entre les acteurs, en vue d’un développement du recours à l’usage de MFSC sur les sols agricoles.
Quel contenu dans ce projet de décret?
En l’état, le projet de texte en consultation définit 3 sous-catégories de MFSC :
- La catégorie A1 : Ce sont les seules MFSC éligibles au statut de produit. Elles ont obtenu une autorisation de mise sur le marché ou sont conformes à un cahier des charges ou à une norme qui respecte les critères d’innocuité A1.
- La catégorie A2 : Elles sont conformes à un CDC ou à une norme et respectent les critères d’innocuité A2. Elles conservent un statut de déchet, sans plan d’épandage. La distribution se fait entre le producteur de la matière fertilisante et l’utilisateur, qui doit être un professionnel. Ce sont entre autres les amendements qui ne respectent pas les critères A1. Une partie des composts à base de biodéchets ou de FFOM répondant à la norme NFU 44051 seraient des A2 sous réserve de répondre aux critères d’innocuité A2.
- La catégorie B : Ce sont toutes les autres MFSC. Elles conservent leur statut de déchet et ne peuvent faire l’objet d’un retour au sol seulement dans le cadre d'un plan d'épandage.
A ce stade, il est important de relever que la répartition des MFSC proposée n’est pas limpide et sujette à plusieurs interprétations, notamment entre les A1 et les A2.
Les 3 catégories se distinguent donc selon une batterie de critères d’innocuité, présentés dans plusieurs annexes :
- L’annexe I identifie les critères d’innocuité par catégorie de MFSC (Annexe 1 pour la catégorie A1, Annexe 2 pour la catégorie A2, etc). Il propose une nomenclature des différents critères par catégorie de MFSC et les seuils associés pour les paramètres ETM (éléments trace métalliques), CTO (Composées traces organique), inertes et impuretés (dont plastiques), micro-organismes pathogènes et tests dits sentinelles (c’est-à-dire des tests éco toxicologiques et tests perturbateurs endocriniens). D’ores et déjà, il est important de rappeler que pour certains tests, peu ou pas de retours opérationnels des filières sont disponibles et posent des interrogations quant à leur mise en oeuvre.
- L’annexe II identifie les critères d’innocuité à contrôler par type de MFSC. En l’état dans le projet de décret, cette partie est vide et ne donne aucune indication quant aux types de tests qui seront imposés par type de MFSC, car soumise aux résultats de l’avis de l’ANSES attendu pour février 2021. Aucune indication n’est apportée quant à savoir si deux MFSC différentes répondant d’une même catégorie (type A2) soient soumises aux mêmes batteries de tests ou non.
- L’annexe III définit les critères d’efficacité agronomique applicables aux catégories B.
- Enfin, l’annexe IV définit les apports maximaux admissibles par contaminant, en flux moyen annuel sur 10 ans et en flux maximal.
Impacts sur la filière d’amendements organiques produits à partir de biodéchets ou de fraction fermentescibles issues des Omr
Sur la forme, le présent décret manque clairement de lisibilité ce qui complexifie son appréhension générale. D’une part, il est incomplet, les annexes n’étant pas remplies, il est impossible de savoir à quels tests seront assujettis les MFSC ce qui n’est pas sans conséquence pour les amendements organiques produits à partir de biodéchets ou de FFOM et répondant à la norme NFU 44051. Puis, nous relevons que peu d’indications sont fournies quant aux types de MFSC répondant à proprement parlé plutôt de la catégorie A1, A2 ou B. Même si les composts normés NFU 44051 à base de biodéchets ou de FFOM répondent à priori à la catégorie A2, des explications sont attendues à ce niveau, car les usages et responsabilités associées sont imprécis. Aussi, notons une absence de bibliographie scientifique venant justifier les propositions de seuils ou paramètres cités dans les annexes pour chaque catégorie. Pour les composts répondant à la norme NFU 44051 aucune étude d’impact technique et économique des modifications induites ne sont apportées, générant un flou total sur les moyens techniques et financiers mobilisables pour répondre pragmatiquement à ce décret. Enfin, les faibles délais proposés pour la mise en conformité des MFSC sont intenables. Les MFSC (hors boues) auraient un délai de 12 mois pour se conformer aux dispositions du décret et mettre en œuvre ces batteries de tests en vue d’un retour au sol encadré.
Sur le fond, les propositions faites quant aux paramètres et seuils de référence qui potentiellement seraient à contrôler (indécis jusqu’à parution de l’avis de l’ANSES) présentent de nombreuses incohérences relevées.
D’une part, une série de critères et paramètres d’analyse sont relevés et d’autres nettement abaissés par rapport à la norme NFU4405. Ainsi, les teneurs maximales en ETO sont définies largement au dessus de la norme NFU44-051, sauf le cadmium, chrome, mercure et plomb qui sont identiques). En revanche, les seuils appliqués pour les inertes et impuretés (dont les plastiques) sont très sévères : > 2mm alors que la norme est >5mm pour les plastiques. La pertinence des tests sentinelles au regard des analyses imposées par la norme NFU44-051 se pose aussi. Leur technicité, leur périodicité et leur coût sont autant de variables non étayées qui complexifient le processus général.
La conséquence directe de l’application de ce critère autant pour les composts normés à partir de biodéchets ou de FFOM, serait l’impossibilité pour une grande partie des lots produits de s’y conformer, sans quoi les MFSC basculeraient automatiquement vers une catégorie B et seraient obligatoirement soumises à un plan d’épandage, qui au demeurant est une solution de valorisation agronomiques sanitaire et environnementale moins acceptable. L’hypothèse d’une impossibilité de mise en place d’un plan d’épandage suggère plusieurs choses :
- Le recours à des engrais et amendements chimiques pour fertiliser les sols en substitution par le monde agricole
- Une redirection des MFSC produites ne respectant les paramètres du décret (dont des composts pourtant normés aujourd’hui) vers des solutions d’élimination (stockage ou pire d’incinération) remettant en question les politiques publiques actuelles de limitation de l’élimination en France et de détournement de la matière organique en vue d’un retour au sol.
Ces points ne sont pas acceptables.
La position d’AMORCE
En réponse à ce projet de texte, AMORCE se dit extrêmement préoccupée mais aussi ouverte à la discussion avec les ministères pour élaborer un véritable socle pour répondre aux exigences de sécurité alimentaire issues des EGA de 2018. Cela passe principalement par :
- Le partage des fondements scientifiques permettant de justifier sur le plan sanitaire et environnemental certaines évolutions à la hausse et d’autres nettement à la baisse des seuils imposés selon certains paramètres en interrogeant sur le sens des évolutions vis à vis de la mesure de leur impact sur la santé et la protection de environnement.
- La mise en œuvre d’un véritable processus de concertation, dont la présente contribution n’est que le point de départ : ainsi, AMORCE demande à ce qu’une nouvelle consultation des parties prenantes soit organisée après avis de l’ANSES, afin de disposer d’une vision claire et exhaustive du texte, et de ses fondements scientifiques pour se prononcer avant l’adoption finale du décret et de ses annexes.
- Face aux bouleversements que ce texte va générer dans l’ensemble de la filière de valorisation agronomique, AMORCE sollicite une véritable étude des impacts de ce projet de texte sur le plan sanitaire, environnemental, économique et même sociétal et politique. En effet, un volume conséquent de MFSC notamment à base de biodéchets y compris triés à la source et de FFOM (extraite par les TMB) répondant actuellement à la norme NFU 44051 pourraient ne plus faire l’objet d’un retour au sol, avec des conséquences importantes.
Quelles suites et perspectives à venir ?
Un premier cycle de concertation des parties prenantes a débuté le 4 décembre, dont la première réunion réunissait les acteurs de la gestion des déchets, de la méthanisation et de l’assainissement, suivie de 2 nouvelles réunions rassemblant le monde agricole puis les intermédiaires et metteurs sur le marché de matières fertilisantes. La réunion du 4 décembre a été l’occasion pour AMORCE de défendre les points critiques ainsi que de formuler les demandes mentionnées plus haut.
A ce stade peu d’annonces des ministères à part la confirmation qu'il s'agit bien d'un projet incomplet qui s'inscrit dans un objectif de validation suivant un calendrier particulièrement contraint intégrant les étapes suivantes :
- Un avis de l'ANSES attendu pour fin janvier 2021
- Une étude d’impact confiée au cabinet RITTMO. Elle devrait débuter fin 2020 et ses conclusions devraient être rendues après l’avis de l’ANSES.
- Une nouvelle consultation des parties prenantes sera organisée sur la base de ces conclusions, avant consultation du public en mars 2021, tout comme la notification à la commission européenne.
- Le décret est attendu pour juin 2021, avec une entrée en vigueur au 1er juillet pour les boues d’épuration et en juin 2022 pour toutes les autres MFSC.
En attendant les prochaines étapes visant à compléter le projet de décret et ses annexes, AMORCE se mobilise en concertation avec l’ensemble des représentants des collectivités pour interpeller dans un premier temps le Premier Ministre sur les enjeux et conséquences pour l'ensemble des services publics du projet de décret, mais aussi en contribuant activement d'un point de vue technique à l’étude d’impact afin qu’elle couvre bien l’ensemble des problématiques et des conséquences environnementales (bilan carbone global) et financières (impact sur le coût du SPGD).
En ce sens, AMORCE est attentif à l’ensemble des retours de terrain des collectivités (et leurs exploitants) sur les quantités et la qualité des MFSC produites aujourd'hui pour apprécier l'impact des nouveaux seuils établis et paramètres suivis. Un questionnaire est envoyé en parallèle pour compiler des :
- Informations sur les flux potentiellement déclassés en plan d'épandage ou ne pouvant plus retourner au sol (quantités),
- L’impact des seuils revus à la baisse sur l'économie de la filière organique (estimation des coûts pour une mise en conformité des nouveaux seuils ou des surcoûts d'élimination).
- Des éléments sur les nouveaux paramètres introduits si vous avez eu l'occasion de les tester (résultats de mesures),
Nous vous remercions d’avance pour l’envoi de vos retours de terrain qui permettront d’appuyer les éléments adressés dans la note de contribution envoyée le 27 novembre et dont certains points ont été rappelés dans cet article.
Contacts : Delphine HERVIER et Olivier CASTAGNO