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05 mai 2021 - Actualités

Métabolites de pesticides dans le contrôle sanitaire : quels leviers d’action pour les collectivités ?

Alors qu’une instruction de la DGS (N° DGS/EA4/2020/177) relative à la gestion des risques sanitaires en cas de présence de pesticides et métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH), à l’exclusion des eaux conditionnées, est parue le 18 décembre 2020 et que la mise en place de nouveaux marchés d’analyse pour le contrôle sanitaire a été l’occasion d’intégrer de nouvelles molécules dans les suivis qualitatifs de l’eau distribuée, de nombreuses régions se trouvent confrontées à une dégradation des résultats du contrôle sanitaire de l’eau potable, notamment pour les pesticides et leurs métabolites. Il ne s’agit pas d’une dégradation de la qualité de l’eau mais d’une mise en lumière de molécules déjà présentes, avec un prisme cependant biaisé par les seuils réglementaires souvent nettement inférieurs aux limites sanitaires.

Actualité extraite de la Lettre aux Adhérents n°71 de mars-avril 2021 - page 86

 

Pesticides et métabolites de pesticides : de quoi parle-t-on?

Le terme « pesticide » désigne plus de 1000 molécules très hétérogènes, utilisées pour la prévention, le contrôle ou l'élimination d'organismes indésirables, qu'il s'agisse de plantes,

d'animaux (insectes, acariens, mollusques, etc.), de champignons ou de bactéries. Les pesticides regroupent ainsi les produits phytopharmaceutiques ou phytosanitaires (pour la protection des plantes), les produits biocides (pour l’élimination d’organismes nuisibles comme les insectes ou les rongeurs ou pour la production du bois) ainsi que les produits antiparasitaires utilisés chez l’animal, comme les antipuces.

En se diffusant dans l’environnement, les pesticides peuvent se transformer et/ou se dégrader en une ou plusieurs autres molécules appelées "métabolites" ; certains métabolites sont également issus de réactions/ de recombinaison. On parle également de molécules mères (les pesticides) et de molécules filles (les métabolites).

 

Qui définit la pertinence d’un métabolite de pesticides et comment ?

En France, depuis un avis de l’ANSES de janvier 2019, « Un métabolite de pesticides est jugé pertinent pour les EDCH s’il y a lieu deconsidérer qu’il pourrait engendrer (lui-même ou ses produits de transformation)un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur. »

L’anses a établi une méthode s’appuyant sur plusieurs critères (notamment, les impacts sur la santé en termes de génotoxicité, toxicité pour la reproduction, cancérogénicité ou perturbation endocrinienne ou encore le potentiel de transformation dans la filière de traitement des eaux en un produit dangereux pour la santé humaine.) pour définir cette pertinence.

En Janvier 2021, 16 métabolites avait fait l’objet d‘une décision sur leur pertinence avec 8 molécules jugées pertinentes et 8 molécules jugées non pertinentes.

En l’absence d’avis officiel de l’ANSES, on parle de « métabolites dont la pertinence n’a pas été caractérisée ».

 

A noter que cette liste est largement évolutive. Par exemple, en 2021, une campagne de mesures sur environ 160 molécules (dont une centaine de métabolites) est planifiée : cette campagne permettra de définir les prochaines substances sur lesquelles l’ANSES sera amenée à se prononcer dans les prochaines années.

 

 

A ce stade, il est également important de rappeler que, la part attribuable à l’EDCH dans l’exposition globaleaux pesticides est généralement limitée. Ainsi, pour les 106 molécules pour lesquelles uneévaluation globale a pu être menée en 2013 par l’ANSES au niveau national (dans l’eau et les denrées alimentairessolides), la contribution moyenne de l’EDCH à l’exposition alimentaire totale est inférieure à 5 %, sauf pour 8 pesticides et leurs métabolites (dont l’atrazine, lemétolachlore ou le diuron).

 

Classement des métabolites : quel impact sur le contrôle sanitaire ?

Jusqu’à présent, et par défaut, tous les métabolites de pesticides dans les EDCH étaient considérés comme pertinents. Cette nouvelle distinction, introduit par l’instruction de 2020  a pour objet de permettre aux ARS de de mieux identifier les situations prioritaires, au regard des enjeux sanitaires associés à la consommation de l’eau de boisson.

 

Ainsi, selon le classement des métabolites, le type et le niveau des valeurs associées sont différents :

  • les limites réglementaires
  • la valeur réglementaire est de 0,1 μg/L pour les métabolites pertinents et par défaut, dans une logique sécuritaire, pour les métabolites dont la pertinence n’a pas été caractérisée
  • pour les métabolites non pertinents, il existe une valeur de vigilance à 0,9 μg/L
  • les valeurs sanitaires : ces valeurs correspondent à des seuils pour lesquels, sur la base des critères toxicologiques retenus et en l'état actuel des connaissances, aucun effet néfaste pour la santé n’est connu.
  • on parle de Vmax pour les pesticides pertinents
  • et de valeur guide pour les non pertinents

A noter que l’instruction de décembre 2020 a revu le mode de calcul de la Vmax, avec des paramètres plus sécuritaires. Ces Vmax sont associées à une valeur toxicologique de référence (VTR) par molécule. par exemple, pour l’ESa métolachlore, la Vmax est fixée à 510 μg/L (alors que le seuil réglementaire est à 0,1 μg/L)

 

Il existe également un indicateur dit « total pesticides », qui somme tous les pesticides et leurs métabolites individualisés détectés et quantifiés. Pour ce calcul ce sont les métabolites pertinents et ceux dont la pertinence n’a pas encore été caractérisée qui sont à prendre en compte. Le cumul ne doit pas dépasser 0,5 μg/L.

 

Dans la pratique, l’instruction de 2020 définit une méthode à l’intention des ARS pour construire leur propre liste de pesticides et métabolites à rechercher dans le cadre du contrôle sanitaire, selon les activités agricoles locales, le type de cultures, les quantités de pesticides vendues, ainsi que des pratiques locales d’approvisionnement des utilisateurs « professionnels » (collectivités territoriales, professions agricoles, gestionnaires d’infrastructures de transport, etc.) à l’échelle de la masse d’eau. Cette liste n’est donc pas identique sur tout le territoire français, puisqu’elle s’adapte à la probabilité de les retrouver dans les eaux.

 

Que se passe t-il en cas de dépassements des valeurs règlementaires ou de vigilance ?

En cas de dépassement des valeurs réglementaires pour les métabolites pertinents ou pas encore caractérisés sur une durée supérieur à 30 jours consécutifs, il est envisageable de disposer d’une dérogation préfectorale pour continuer à distribuer l’eau concernée.

Cette dérogation dépend de la gravité des dépassements, de leur durée, du nombre de pesticides impliquées… il en existe 3 niveaux : dérogation simplifiée, dérogation complète ou restriction d’usages.

Actuellement les dérogations (toutes causes confondues) concernent moins de 2% des services d’eau potable et la très grande majorité des abonnées reçoivent une eau conforme.

Dans les faits, il n’existe le plus souvent pas de mesures journalières mais plutôt à des fréquences mensuelles. Ainsi, la plupart des ARS considèrent que 2 dépassements consécutifs (2 mois de suite) sont une non-conformité et doivent donc entraîner un dossier de dérogation.

 

La dérogation permet de déroger temporairement (maximum 3 ans renouvelables) à la valeur réglementaire ou de vigilance sans toutefois dépasser la Vmax sanitaire (ou valeur guide pour les métabolites non pertinents) pour laisser le temps aux collectivités de déployer un plan d’actions.

 

A ce stade les ARS elles-mêmes s’inquiètent du risque de multiplication des dossiers de dérogation suite au contrôle sanitaire d’avril 2021, et de l’impact sur un risque de contentieux européen. Des discussions sont en cours au niveau national, entre ARS et DGS, pour imaginer des approches plus transversales. 

Pour être tenus informés de ces discussions, abonnez vous à notre Newsletter bi-mensuelle et à la Communauté EAU d’AMORCE.

 

Quels moyens d’actions pour réduire les pesticides dans les ressources en eau et les EDCH ?

En cas de dépassements d’une des valeurs du contrôle sanitaire, la collectivité doit au plus vite mettre en place un programme d’actions pour limiter l’exposition aux pesticides et métabolites depesticides via les EDCH.

A noter que ces efforts n’exonèrent pas des efforts à porter aux autres modes d’exposition, puisque l’EDCH reste un facteur très limité d’exposition.

 

Ces plans d’actions doivent combiner des actions de réduction à la source des pollutions diffuses (dont les résultats se font sentir dans la durée) avec des solutions de curatives.

Les actions préventives peuvent porter sur : 

  • des changements durables des pratiques agricoles (réduction des intrants, évolution des cultures et des pratiques, …),
  • des actions visant à réduire les ruissellements (s’appuyant notamment sur les solutions fondées sur la nature, …), à l’échelle des périmètres de protection mais aussi de l’ensemble de l’aire d’alimentation du captage.

Elles sont à combiner avec des actions curatives : mélange d’eaux de différentes origines, substitution de ressource ponctuelle ou pérenne, montée en gamme des traitements,..

Dans des cas extrêmes, des captages peuvent être abandonnés.

 

Concernant spécifiquement la montée en gamme du traitement, les pesticides sont généralement traités via des filtres à charbon actif. A noter que face aux défis de ces métabolites, dans les petites unités, il peut être nécessaire de faire évoluer les installations en passant d’un traitement par charbon à grain à du charbon en poudre (à associer en général à un filtre à sable pour abattre la turbidité).

Faire évoluer une unité de traitement existante nécessite le plus souvent l’intervention d’un bureau d’étude via une étude de faisabilité ; AMORCE recommande dans ce cas d’intégrer à l’étude une mise en conformité avec la récente directive eau potable en cours de transposition en droit français mais dont les contours sont d’ores et déjà bien connus.

 

Contact : Muriel FLORIAT