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01 novembre 2019 - Actualités

Le projet de loi de finances pour 2020 acte la baisse des ambitions de la France pour le climat

Les députés examinent jusqu'à mi-novembre le projet de loi de finances pour 2020. Celui-ci sera transmis au Sénat et devra être adopté d’ici la fin de l’année. Ce projet de loi ne renforce pas les efforts financiers de l’État en faveur de la transition écologique. Malgré une légère hausse des recettes de la fiscalité énergétique et la hausse tendancielle des recettes de la TGAP déchets, il prévoit une réforme du Crédit d’Impôt Transition énergétique qui réduira l’enveloppe globale du dispositif, n’augmente pas les moyens de l’ADEME en matière d’économie circulaire et maintient le plafonnement du budget des agences de l’eau.

Avenir de la fiscalité écologique et convention citoyenne sur le climat

Ce texte n’aborde à aucun moment la question de la fiscalité écologique. Il faut donc espérer, que la Convention Citoyenne sur le climat, initiative du Gouvernement réunissant  150 citoyens tirés au sort pour proposer des solutions pour le climat offrira enfin la possibilité de relancer une fiscalité écologique juste et efficace. Pour AMORCE, les débats sur la fiscalité écologique pourraient notamment être rendus plus constructifs avec une vraie discussion sur l’affectation de ses recettes (notamment des 8 à 9 milliards d’euros de fiscalité carbone). Sur ce point, AMORCE défend notamment l’affectation d’une partie des recettes aux politiques de transition écologique territoriales (accompagnement de la rénovation des particuliers pour diminuer leur consommation, développement des énergies renouvelables...). Cette proposition a été adoptée à plusieurs reprises au Sénat mais supprimée systématiquement par l’Assemblée nationale. AMORCE défend à nouveau cette proposition dans les débats sur la loi de finances, et propose également la création d’une loi de programmation de la fiscalité écologique. Cette mesure viserait à inscrire clairement dans la loi les grands objectifs de la fiscalité écologique, les trajectoires envisagées pour chaque taxe environnementale et surtout le niveau d’affectation des recettes de cette fiscalité, en cohérence avec les grands objectifs de transition énergétique de la France. Cette proposition, qui établirait également les conditions de prise en compte de l’impact de cette fiscalité écologique sur les plus modestes et les plus captifs sera discutée courant novembre par les députés. 

 

Le projet de loi de finances ne prévoit pas d’augmentation de la taxe carbone, mais prévoit une diminution des efforts financiers de l’État en faveur de la transition écologique. 

En effet, depuis 2017, l’État affectait 7,3 milliards d’euros issus de la fiscalité énergétique au financement de l’électricité renouvelable : environ 5,5 pour financer les dispositifs de soutien actuel et un peu moins de 2 pour rembourser EDF d’une dette qui sera intégralement remboursée en 2020. En effet, au début des années 2010, les dépenses liées au financement de l’électricité renouvelable ont augmenté les charges liées aux missions de service public d’EDF. Ne souhaitant pas augmenter la CSPE en proportion pour éviter une hausse du prix de l’électricité, le gouvernement de l’époque a fait le choix de laisser un écart se creuser entre les charges pour mission de service public d’EDF et la CSPE supposée les compenser. La dette que l’État a contracté par ce biais est remboursée petit à petit par les recettes de la fiscalité carbone depuis 2017. 1,84 milliard d’euros étaient consacrés en 2019 à ce remboursement, et il ne reste plus que 830 millions d’euros à rembourser. Environ 1 milliard d’euros de recettes issues de la contribution climat énergie se retrouvent donc sans affectation. Alors qu’il aurait pu faire le choix de consacrer ce milliard d’euros à la transition écologique, le gouvernement a préféré le réintégrer au budget général, diminuant d’autant l’effort financier de la transition énergétique.

Cette décision est d’autant plus contestable que, d’un point de vue plus global, les recettes de la fiscalité énergétique devraient augmenter en 2020, avec la fin des exonérations de taxes sur le gazole non routier notamment.

 

Fiscalité énergétique et Crédit d’Impôt Transition Énergétique

L’État a prévu de réformer le modèle du CITE en le transformant en une prime forfaitaire distribuée par l’Agence Nationale de l’Amélioration de l’Habitat (ANAH). Cette réforme se fera en plusieurs étapes : en 2020, seuls les ménages modestes (en fonction du barème de l’ANAH) bénéficieront d’une prime en remplacement du CITE. Le CITE est maintenu sous la forme d’un crédit d’impôt pour les ménages allant jusqu’au 8ème décile, et supprimé complètement pour les ménages des 9 et 10ème déciles (les 20 % les plus riches de la population française donc). Dans le même temps, les tarifs du CITE évoluent également pour l’année 2020 (y compris pour ceux qui le percevront toujours sous forme de crédit d’impôt). Alors que le CITE était initialement calculé en appliquant un pourcentage aux dépenses réalisées pour les travaux de rénovation, un barème forfaitaire définissant un niveau d’aide par type d’opération a été instauré.

 

Le nouveau barème prévu a notamment pour inconvénient de privilégier certaines opérations qui ne sont pas les plus pertinentes au regard des enjeux de maîtrise de l’énergie. Il favorise en particulier les solutions de chauffage individuel par rapport au chauffage collectif. Pourtant, le chauffage collectif est plus performant et a un impact plus important sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour AMORCE, il serait plus pertinent de rééquilibrer le dispositif dans un premier temps en faveur des solutions de diminution de la consommation (rénovation), et dans un second temps en faveur des solutions de chauffage collective plutôt qu’individuelle. AMORCE a proposé des amendements en ce sens, notamment pour améliorer le niveau d’aide pour le raccordement à un réseau de chaleur vertueux. 

 

Surtout, l’enveloppe globale du dispositif est réduite de 900 à 800 millions d’euros pour l’année prochaine (après une première diminution de 1,4 à 900 entre 2018 et 2019). Suite à l’épisode Gilets jaunes et au Grand débat national, au cours duquel une partie des Français ont témoigné de leur souhait d’être davantage accompagnés dans la transition énergétique, cette diminution de l’effort financier pour l’un des principaux dispositifs d’aides à la rénovation énergétique destiné au ménage envoie un signal négatif. Elle est d’autant plus inexplicable que la France a pris du retard sur la trajectoire d’atteinte de ses objectifs de rénovation énergétique (entre 300 et 400 000 rénovations par an alors que l’objectif était de 500 000 rénovations chaque année à partir de 2017). La programmation pluriannuelle de l’énergie présentée en début d’année pour consultation tablait de plus sur un renforcement du CITE (qui devait être étendu aux propriétaires bailleurs, ce qui n’est pas le cas dans ce projet de loi de finances), et sur la poursuite de la trajectoire d’augmentation de la taxe carbone. Le CITE est réduit, et la hausse de la fiscalité carbone est suspendue. Difficile dans ce cadre d’envisager que la France puisse suivre la trajectoire prévue par la Programmation Pluriannuelle de l’énergie.

(sur ce point voir article p.91 “Évolutions des aides à la rénovation énergétique de l’habitat: réforme du CITE et de l’éco-PTZ”)

 

Les agences de l’eau toujours au régime sec

Depuis plusieurs décennies, la politique de l’eau est financée en France via un dispositif décentralisé et via des redevances dont la recette est intégralement affectée à leur objet. Les redevances eau prélevées sur les usagers sont ainsi reversées aux 6 agences de l’eau françaises (établies à l’échelle des 6 grands bassins français). Ces moyens sont utilisés par les agences de l’eau pour financer la politique de l’eau mise en place avec les collectivités (réseau de distribution, assainissement, gestion de la ressource en eau...). Ce système inédit, fondé sur une politique véritablement décentralisée (l’ensemble des décisions étant prise à l’échelle des comités de bassin) et sur le principe « l’eau paie l’eau » est de plus en plus mis à mal depuis plusieurs années. Tout d’abord, l’État a prélevé une partie des budgets des agences de l’eau pour alimenter d’autres politiques publiques (la biodiversité dans un premier temps, mais également la chasse). L’État a également plafonné le budget des agences de l’eau, qui ne peut aujourd’hui excéder 2,1 milliards d’euro (en additionnant le budget des 6 agences). Toute recette de redevance dépassant ce plafond serait reversée à l’État. Pourtant, les domaines d’intervention des agences de l’eau ont été élargis et la politique de l’eau française doit faire face à de nouveaux défis : lutte contre changement climatique et adaptation, lutte contre les micropolluants, lutte contre les pollutions plastiques... Ces missions nouvelles supposeraient au contraire des financements supplémentaires.

Le projet de loi de finances pour 2020 ne revient pas sur cette logique, et maintient le plafond sur le budget des agences de l’eau, et ce malgré les assises de l’eau dont la deuxième phase s’est tenue cette année. Les conclusions de cette deuxième phase, centrée sur l’adaptation au réchauffement climatique et la gestion de la ressource, prévoyaient pourtant des orientations intéressantes (développement de la réutilisation des eaux usées traitées, renforcement du cadre juridique, lutte contre les micropolluants). Mais sans financements, difficile d’imaginer que ces orientations soient concrétisées.

 

Pas d’évolution majeure sur la fiscalité déchets 

En dehors de la révision des valeurs locatives (voir article “Révision des bases locatives prévue dans le projet de loi de finances pour 2020”p.78), le projet de loi ne comporte aucune mesure fiscale sur la gestion des déchets. Il conserve donc l’augmentation injuste de la TGAP à partir de 2021, votée l’année dernière, qui pénalisera les collectivités sans permettre véritablement de réduire l’élimination des déchets, tant que des mesures n’auront pas été mises en place pour réduire les déchets résiduels à la source. Dans le même temps, le projet de loi économie circulaire, bien qu’il comporte des avancées importantes, ne contient pas les mesures qui permettront de réduire avant 2025 les déchets résiduels. En effet, la plupart de ses mesures majeures, notamment les nouvelles filières REP, ne détourneront pas une quantité significative de déchets du stockage avant plusieurs années. AMORCE défend donc des mesures pour rendre cette fiscalité plus juste, en faisant contribuer également les metteurs sur le marché de produits non recyclables via une TGAP amont, plus incitative, avec une réfaction pour les collectivités ayant divisé par 2 le stockage, et plus cohérente, en affectant ses recettes à l’économie circulaire. 

 

Par ailleurs, alors qu’une réforme de la fiscalité locale sur les déchets avait été annoncée, aucune mesure sur ce sujet n’est finalement présente dans le texte. Aucun élément n’a pour l’instant filtré sur le contenu de cette réforme, qui pourrait éventuellement figurer dans le projet de loi de finances rectificatives. AMORCE défend donc, comme l’année dernière, des mesures visant à sécuriser la TEOM en précisant la nature des dépenses qu’elle peut financer et en spécifiant le seuil au-delà de laquelle l’écart entre les recettes et le coût réel du service est considéré comme disproportionné, et en permettant d’élargir sur option le calcul du coût au service du service de propreté (via un amendement adopté au Sénat dans le cadre de la loi économie circulaire). Enfin, AMORCE défend des mesures pour faciliter le déploiement de la tarification incitative, en permettant de la mettre en place définitivement sur seulement une partie du territoire d’une collectivité, ou en étendant son expérimentation de 5 ans à 10 ans pour les territoires qui le souhaitent. 

 

Un budget globalement peu ambitieux pour le climat

Malgré les éléments de communication du gouvernement, qui évoque une hausse du budget du ministère de la transition écologique, la tendance est à la baisse pour l’ensemble des outils de soutiens financiers de l’État pour accompagner les Français dans la transition écologique :

 

  • L’effort financier en faveur de l’électricité renouvelable diminue d’1 milliard d’euros, au profit du budget général de l’État.
  • Le CITE est réduit de 100 millions d’euros
  • Le budget de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie diminue de 8 millions d’euros malgré l’annonce d’une hausse de 100 millions d’euros du Fonds chaleur financé par cette agence, qui est en fait principalement abondée par la trésorerie de l’ADEME du fait de projets finalement non réalisés, et par la réaffectation des financements que l’ADEME consacrait à la rénovation énergétique. En effet, l’accompagnement du déploiement du SPPEH est désormais financé par un programme CEE.
  • Aucun nouveau dispositif de financement n’est prévu pour accompagner les Français dans la transition énergétique, en dehors des évolutions des aides à la l’acquisition de véhicules propres (qui sont plus qu’intégralement compensées par la hausse des malus sur les véhicules polluants).

 

La hausse de budget annoncée s’explique donc avant tout par des transferts budgétaires (une part de la dette d’EDF prise en charge par l’État est par exemple intégrée au budget du ministère de l’écologie). Un effort financier est toutefois réalisé sur les infrastructures de transport, mais ne suffit pas à compenser les diminutions que subissent l’ensemble des autres postes de dépenses de la politique de transition écologique nationale.

 

De manière générale, ce budget 2020 reproduit donc la logique des budgets précédents : les recettes des taxes sur l’énergie augmentent mais pas les dispositifs d’accompagnement des Français dans la transition écologique.

Contacts : Julien BARITAUX et Delphine MAZABRARD