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02 mars 2023 - Actualités

Faible disponibilité de la ressource : quand le permis de construire tombe à l’eau

2022 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France d’après Météo-France. L’hiver 2023 figure parmi les dix hivers les moins pluvieux depuis 1959. Ce début d’année n’est pas épargné : la pluie n’est pas tombée en France durant 32 jours consécutifs, battant à nouveau un triste record. De nombreux territoires font état d’un manque d’eau et s’inquiètent quant à la délivrance d’autorisations d’urbanisme pour des projets de construction au regard de l’épuisement de la ressource. En ce sens, la Cour administrative d’appel de Toulouse a, récemment, rendu un arrêt qui peut s'appliquer en l'espèce.

Le manque de pluie cet hiver n’a pas permis aux nappes phréatiques de se remplir totalement et le sud-est de la France connait déjà un déficit pluviométrique important. Le gouvernement a appelé les préfets à prendre des arrêtés le plus tôt possible pour décider de mesures de restriction d’eau. 

 

Les préfets disposent, en effet, de pouvoirs exceptionnels dont l’échelle des mesures à prendre est graduée selon la gravité de la situation. L’article R. 211-66 du code de l’environnement (issu du décret « sécheresse » n°2021-795 du 23 juin 2021) définit 4 niveaux règlementaires d’intervention :

  • Vigilance : sensibiliser à la nécessité de faire des économies
  • Alerte : réductions des prélèvements et interdiction de certaines activités
  • Alerte renforcée : réduction de tous les prélèvement d’eau et interdiction totale de certaines activités
  • Crise : prise de mesures drastiques afin de préserver les usages prioritaires.

La gestion des sécheresses se faisant à trois niveaux, en vertu de l’instruction ministérielle du 27 juillet 2021 (arrêtés d’orientation, arrêtés-cadre départementaux ou interdépartementaux, arrêtés individuels de restriction temporaire des usages de l’eau).

À ce jour, 5 départements sont placés en alerte renforcée sur au moins une partie de leur territoire : Ain, Bouches-du-Rhône, Isère, Pyrénées-Orientales, Var. La Savoie est en vigilance. 

 

Si les pouvoirs des préfets sont bien avérés, un maire peut-il refuser la délivrance d’un permis de construire d’un projet de construction, en raison de la faible disponibilité de la ressource en eau ? 

 

Le juge administratif de la Cour administrative d’appel de Toulouse a tranché dans sa décision du 21 février 2023 (n°20TL03186) dans le cadre d’un contentieux entre la société Expert Immo qui sollicitait un certificat d’urbanisme pour la réalisation d’un lotissement sur le territoire de la commune de Montredon-des-Corbières (Aude) et ladite commune qui a délivré à la société un certificat d’urbanisme indiquant que le projet n’était pas réalisable sur ce terrain.

 

Le juge administratif a admis, au regard de l’article L. 111-11 du code de l’urbanisme, que le maire peut refuser de délivrer un permis de construire pour le projet de lotissement lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux d'eau, d'assainissement ou d'électricité sont nécessaires à la desserte du projet et, d'autre part, lorsque l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité ou par quel concessionnaire ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation. 

 

En ce sens, et sous réserve de répondre à ces conditions, un maire pourrait refuser de délivrer un permis de construire en raison de la faible disponibilité de la ressource en eau au regard des besoins liés aux travaux d’extension ou de renforcement des réseaux.

 

Tout récemment, plusieurs élus de communes du Var ont déclaré geler toute nouvelle construction sur leur territoire pour cause de manque d’eau pour les 5 prochaines années. La communauté de communes du Pays de Fayence a déployé un Plan Marshall de l’eau pour envoyer un message clair et inciter les habitants à tendre vers des économies d’eau et mettre en œuvre une maitrise urbanistique sur le territoire. En ce sens, la communauté de communes, soutenu par le préfet, a décidé de prendre des mesures pour limiter le développement urbanistique sur le territoire en entendant geler toute demande de permis de construire pour les prochaines années. 

 

Cette décision de principe reste fragile juridiquement, avec une jurisprudence peu éclairante, et ne connaît pas de traduction réglementaire en l’état mais vise surtout à faire passer un message fort et a interpeller l’État. Les maires des 9 communes se sont engagés dans cette démarche volontariste et l’objectif des élus est surtout d’inciter les habitants à ne pas acheter ou construire des habitations sur des communes qui risquent de ne pouvoir assurer la desserte en eau potable.

 

Les inquiétudes des collectivités quant aux permis de construire qu'ils devront continuer d’autoriser au regard de l’urgence climatique prennent de l'ampleur. 

 

Pour tenter de cadrer la situation et renforcer les pouvoirs des maires, le député UDI Christophe Naegelen avait déposé une proposition de loi visant à préserver les ressources en eau des communes, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2022. Son article unique prévoit que dans les communes ne disposant pas d’un plan local d’urbanisme, d’une carte communale ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu, le maire puisse refuser l’octroi d’un permis de construire lorsque les ressources en eau atteignent un seuil de vigilance décrété par arrêté préfectoral, après avis du comité d’anticipation et de suivi hydrologique, défini à l’article D. 213‑10‑1 du code de l’environnement.

 

 

 

AMORCE promeut une gestion durable de la ressource en eau et encourage les territoires à mobiliser des outils juridiques pour prévenir les épisodes de sécheresse tant au niveau de leurs documents de planification que de leurs documents d’urbanisme et leviers d’aménagement du territoire. Vous pouvez en ce sens retrouver notre dernier webinaire sur le sujet (accessible en replay).

Par ailleurs, AMORCE a rassemblé 70 collectivités adhérentes le 30 septembre dernier pour échanger autour des solutions techniques concrètes mises en place par les territoires et qui ont fait leurs preuves pour réduire les prélèvements sur la ressource en eau. En résulte une proposition de 10 mesures de court et moyen terme pour limiter la pression sur la ressource sur l’ensemble des usages (disponible en ligne).

Ce sujet sera également traité lors du colloque eau "S'inspirer des territoires pour définir les ambitions de la future politique de l'eau" du 10 mai.

 

Contact : Anna FIEGEL