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26 septembre 2024 - Actualités

Certificats d’Economies d’Energie : la Cour des Comptes égratigne le dispositif

Le dispositif des Certificats d’Economies d’Energie, lancé en 2005, est l’un des dispositifs les plus anciens pour financer des actions d’économies d’énergie, même s’il a pris de l’ampleur au cours des années. Pour autant, il reste régulièrement décrié. La Cour des Comptes s’est emparée du sujet et a, dans ce cadre, interrogé de nombreux acteurs, dont AMORCE, membre du comité de pilotage du dispositif.

Le titre du rapport de la Cour des Comptes, « Les certificats d’économies d’énergie : un dispositif à réformer car complexe et coûteux pour des résultats incertains », publié le 17 septembre, ne laisse que peu de place à l’interprétation. Ce long rapport (159 pages) développe un certain nombre de reproches, souvent déjà partagés par certains acteurs depuis plusieurs années. La complexité du dispositif, son envergure en termes de coûts et de transferts financiers, la surestimation des économies d’énergie théoriques par rapport aux économies réelles, sont autant de problématiques soulevées par la Cour des Comptes.

 

« Un dispositif atypique » qui a largement évolué

 

C’est sous ce terme que la Cour des Comptes désigne le dispositif des CEE, qui, il est vrai, reposant sur une obligation d’économies d’énergie appliquée aux fournisseurs d’énergie, est quelque peu original. Les CEE associent ainsi une obligation réglementaire avec un objectif fixé par les pouvoirs publics et le jeu du marché, pour remplir l’obligation, en laissant les obligés fixer la forme de leurs actions. La Cour des Comptes indique ainsi que ce mécanisme a permis la réalisation de plus d’un million d’opérations d’économies d’énergies chaque année depuis 2021. Ces opérations auraient permis, entre 2014 et 2020, d’économiser 106 TWh sur la consommation d’énergie finale de la France en 2020 (soit 6.5 %).

 

Le niveau d’obligation a largement évolué depuis l’introduction du dispositif en 2005. Il a ainsi été multiplié par 3.5 depuis 2015. Les objectifs d’économies d’énergies, que la France a réhaussé dans le cadre du paquet « Fit for 55 » de l’Union Européenne, nécessiteraient un doublement de l’obligation actuelle pour la 6ème période, de 2026 à 2030. Par ailleurs, une deuxième obligation, ciblant les ménages précaires (les CEE précarité) a également été introduite depuis une dizaine d’années. De plus, l’introduction de programmes visant l’accompagnement, la formation et le développement d’actions d’innovation ont également vu le jour. Enfin, la multiplication des bonifications et coups de pouce orientant les bénéficiaires vers des actions d’économies d’énergies que l’Etat souhaitait mettre en avant, a également complexifié le dispositif. Ces derniers ont également augmenté l’écart entre les économies théoriques et réelles, en augmentant de manière artificielle les économies théoriques.

 

« Un dispositif instable », coûteux et difficile à évaluer

 

La Cour des Comptes met en avant l’instabilité chronique du dispositif, qui s’est vu modifié par plus de 280 textes réglementaires en quelques années seulement (2018-2024). Les conséquences de cette instabilité sont, d’après les rapporteurs, une difficulté supplémentaire dans la structuration des filières de rénovation et de services énergétiques, ainsi que la facilitation des actions d’acteurs opportunistes à la recherche de bénéfices immédiats. Les rapporteurs mettent également en avant le poids important des programmes (plus de 8 % sur la quatrième période, près de 2 milliards d’euros engagés au 1er janvier 2024), sans que ceux-ci ne génèrent directement des économies d’énergies. Ainsi, certaines actions auraient dû, toujours selon la Cour des Comptes, être financées directement par l’Etat, comme l’accompagnement à la rénovation énergétique des ménages, l’installation d’emplacements pour vélos ou l’implantation de bornes de recharges électriques.

 

Le principe du dispositif est également remis en cause par la Cour des Comptes. L’obligation appliquée aux fournisseurs d’énergie est directement transmise à leurs clients, c’est-à-dire principalement les ménages. L’institution supérieure de contrôle estime ainsi à 164 € le coût supporté par chaque ménage, en 2023, pour financer le dispositif. La tendance à la hausse du volume d’obligation périodes après périodes impacte donc chaque année un peu plus les consommateurs.

 

Recommandations de la Cour des Comptes

 

Au vu de ces éléments, la Cour des Comptes laisse envisager une suppression du dispositif. Dans le cas contraire, de nombreuses réformes structurelles seraient nécessaires afin d’aligner le dispositif avec les objectifs de réduction de la consommation énergétique du pays. Ces réformes viseraient à stabiliser le dispositif, rapprocher les économies théoriques des économies réelles, réduire les risques de fraudes et améliorer la transparence du dispositif. En ce sens, les rapporteurs préconisent de :

 

  • Soumettre au Parlement le niveau précis d’obligation d’économies d’énergie pour chaque période quinquennale dans la loi portant la stratégie française pour l’énergie et le climat ;
  • Arrêter les paramètres structurants du dispositif dans la programmation pluriannuelle de l’énergie ;
  • Supprimer le financement des programmes ;
  • Renforcer les études de gisement préalables et les évaluations en y consacrant une part du coût total du dispositif ;
  • Inclure dans les dossiers de demande de certificats les informations essentielles à l’évaluation du dispositif ;
  • Asseoir le dispositif sur les économies d’énergie réelles et en publier annuellement les résultats ;
  • Définir et mettre en œuvre un plan d’actions renforcé de lutte contre la fraude aux CEE.

 

Pour autant, la Cour des Comptes ne se limitent pas à ces simples recommandations, mais propose également quatre scénarios, possédant chacun des avantages et inconvénients :

  • Remplacer le dispositif actuel par des fonds budgétaires ;
  • Cibler le dispositif sur la rénovation énergétique des ménages précaires ;
  • Cibler le dispositif sur les marchés des professionnels, bailleurs sociaux et collectivités territoriales ;
  • Convertir le dispositif en certificats d’économies carbone.

 

Fonds budgétaires

 

La Cour des Comptes propose de supprimer ce dispositif et de renforcer à la place les enveloppes budgétaires des outils existants, tels que MaPrimeRénov’, les fonds de décarbonation, les dotations aux collectivités territoriales et les financements pour le logement social. Elle précise que ces enveloppes pourraient être alimentées par une contribution financière obligatoire des fournisseurs d’énergie, qui remplacerait les obligations actuelles. Cette solution est proche des dispositifs espagnols et danois.

 

Rénovation énergétique des ménages précaires

 

La logique de massification d’opérations standardisées apparaissant peu adaptée au secteur industriel, une solution pourrait être de cibler les CEE sur la rénovation énergétique dans le résidentiel, et plus spécifiquement auprès des ménages précaires. Cette proposition aurait comme avantages de réduire les gaz à effet de serre du résidentiel et proposer une transition plus juste. Elle pourrait s’adapter à MaPrimeRénov’ et le Pôle National des CEE (PNCEE) pourrait être rattaché intégralement à l’Agence Nationale de l’Habitat (Anah).

 

À l’inverse, cette solution ignore les enjeux de réduction de la consommation énergétique dans les autres secteurs. Cette mesure nécessiterait un accompagnement poussé des ménages précaires afin de limiter l’effet rebond.

 

Cette option est celle retenue par les Britanniques depuis 2022.

 

Marchés des professionnels, bailleurs sociaux et collectivités territoriales

 

Cette solution, à l’opposé de la précédente, consiste à cibler le dispositif sur les bénéficiaires professionnels. Elle permettrait de simplifier le dispositif et de s’assurer des véritables économies d’énergies car ces acteurs assurent en générale un pilotage et un suivi de leurs consommations. Elle permettrait également de limiter la fraude, qui est largement orientée sur le secteur résidentiel.

 

Pourtant, il n’est pas avéré que cette orientation permettrait d’atteindre les objectifs de réduction de la consommation énergétique tels que définis dans la directive européenne relative à l’efficacité énergétique.

Cette solution se rapproche du dispositif italien.

 

Certificats d’économies carbone

 

L’enjeu majeur de la politique nationale actuelle étant la neutralité carbone en 2050 (Stratégie Nationale Bas Carbone), il pourrait être pertinent d’intégrer ce volet au sein du dispositif actuel. Cette disposition est d’ailleurs rendue possible par l’article 38 de la loi Energie-Climat de 2019. L’ADEME s’est penchée sur cette option, mais considère qu’une transformation profonde du système en ce sens ferait courir le risque de perturber fortement son fonctionnement, pour un impact carbone faible. Toujours selon elle, le plus simple pour aller dans ce sens serait d’intégrer le contenu carbone de chaque énergie dans le calcul servant à fixer les coefficients des niveaux d’obligation. L’introduction d’une composante carbone aurait l’avantage de rééquilibrer les actions vers le secteur du transport et de l’agriculture.

 

Pour autant, ici aussi des inconvénients persistent, notamment le fait que la réduction des consommations est l’étape nécessaire pour couvrir les besoins par des énergies décarbonées. D’autres outils existants, comme les dispositifs de quotas carbone qui vont s’étendre au transport et aux bâtiments en 2027, sont centrés sur le carbone.

 

Le point de vue d’AMORCE

 

Au vu de la séquence politique actuelle, et les nombreux débats concernant le Projet de Loi de Finance pour 2025, qui prévoit de nombreuses coupes budgétaires sur la transition écologique des territoires (fonds vert, MaPrimeRénov’ notamment), AMORCE privilégie un maintien du dispositif des Certificats d’Economies d’Energie en l’absence d’un modèle alternatif clair. Par ailleurs, AMORCE tient à souligner l’intérêt du système des CEE qui fixe un volume d’actions en lien avec un objectif d’économies d’énergie. AMORCE partage cependant les nombreux biais du système actuel, et demande donc un assainissement rapide et durable du dispositif, en renforçant les contrôles quand nécessaires et en refondant le système de création et de révision des fiches d’opérations standardisées. Dans l’attente de cet assainissement, il nous semble aujourd’hui préférable de ne pas renforcer le volume d’obligations pour la sixième période, devant débuter en 2026.

 

AMORCE reste mobilisée sur ce sujet, en tant que membre du comité de pilotage des CEE, et continuera à défendre les intérêts des collectivités territoriales.

 

Contacts : Maxime SCHEFFLER et Robin FRAIX-BURNET